Publié par Christophe Dubeau 2 août 2019
Article mis en ligne le 04/07/2012.
IFSS : Dr, que pensez-vous des deux dernières publications parues en 2012 faisant état d’un déficit en vitamine des français (Institut National de Veille Sanitaire et rapport de l’Académie Nationale de Médecine) ?
Dr :
J’ai été consulté par les auteurs de ces deux rapports qui ont été menés de manière parallèle et indépendante. Les résultats présentés dans ces deux publications sont parfaitement cohérents et les auteurs concluent que le déficit en vitamine D est extrêmement fréquent en France.
En synthèse, ont peut dire que 75 à 80% des français présentent un insuffisance en vitamine D, définie par un taux sanguin de 25(OH) vitamine D inférieur à 30 nanogrammes par millilitre (ng/mL). Un français sur deux présente un taux inférieur à 20 ng/mL.
On considère également qu’environ 5 % des français ont une carence profonde en vitamine D (taux inférieur à 10 ng/mL) et sont exposés à un risque d’ostéomalacie (maladie osseuse de l’adulte équivalente au rachitisme chez l’enfant).
Les pourcentages annoncés peuvent paraître très élevés et pourtant il faut noter qu’il sont probablement inférieurs à la réalité, puisque certaines techniques de dosage de la 25(OH) vitamine D ont tendance à surestimer le taux de vitamine D.
Il faut également noter que ces chiffres sont constatés chez des adultes en bonne santé, mais on sait que le déficit en vitamine D touche encore plus fortement certaines populations (sujets âgés, personnes ayant une peau foncée, personnes en surpoids,…) ou présentant certaines maladies (insuffisance rénale chronique par exemple).
Enfin, pour être exhaustif, on observe également de fortes disparités régionales, les régions à faible ensoleillement sont encore plus touchées par le déficit en vitamine D.
IFSS : Quel est le taux de vitamine D aujourd’hui considéré comme normal ?
Dr :
Pour évaluer notre taux de vitamine D on dose le taux d’une de ses formes, la 25(OH)D, qui reflète le stock de vitamine D de notre organisme et qui permet donc de savoir si une personne présente ou non un déficit en vitamine D.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un consensus absolu, la majorité des experts estiment qu’il faut avoir une concentration supérieure à 30 ng/mL pour définir un statut vitaminique « optimal ».
En raison de la toxicité potentielle de la vitamine D, on définit également une limite supérieure à ne pas dépasser. Cette zone a été fixée arbitrairement à 80 ng/mL, ce qui représente une marge de sécurité suffisamment éloignée de la zone de toxicité théorique.
Quelques chiffres
Taux recommandés de vitamine D (dosage de 25(OH)D)
On utilise deux unités, les nanomoles par litre (nmol/L) utilisées internationalement, et les nanogrammes par millilitre (ng/mL), fréquemment retrouvées dans la littérature scientifique.
Pour convertir, il suffit de multiplier les ng/mL par 2,5.
Equivalences en matière de vitamine D
1 ng/mL de 25(OH) vitamine D = 2,5 nmol/L
1 mg de vitamine D = 40 000 UI (unités internationales)
Apports nutritionnels français conseillés
400 UI/jour si < 65 ans
600 UI/jour si > 65 ans
Nouveaux apports conseillés par les experts
800 à 4000* UI/jour
* niveau supérieur sans danger chez l’adulte
Le soleil apporte de la vitamine D, sans jamais entraîner de surdosage : l’exemple de la Tanzanie
Pour se faire une idée du taux « normal » de vitamine D, on peut observer une population dont le phototype est parfaitement adapté à son environnement depuis des millénaires et vivant en extérieur dans une région ensoleillée. C’est ce qui a été fait dans une étude publiée en 2012 sur le taux de 25(OH)D des populations Maasai et Hadzabe vivant en Tanzanie. Ces populations de phototype VI habitent toute l’année sous un soleil tropical, vivent en extérieur avec des vêtements modérément couvrants et évitent chaque fois que possible de s’exposer directement au soleil.
Le taux moyen de vitamine D dans ces populations est de 115 nmol/L.
Cette étude apporte deux informations importantes :
– le taux optimal physiologique de vitamine D de l’être humain est probablement proche de la valeur de 115 nmol/L (même s’il faut l’extrapoler avec prudence à d’autres populations)
– la confirmation qu’une exposition au soleil, même quotidienne, n’induit pas de risque de surdosage (par un phénomène d’auto-régulation, les UV détruisent tout excès de vitamine D produit par la peau).
Référence : Luxwolda MF, Kuipers RS, Kema IP, JannekeDijck-Brouwer DA, Muskiet FA. Traditionally living populations in East Africa have a meanserum 25-hydroxyvitamin D concentration of 115 nmol/l. Br J Nutr. 2012 Jan 23:1-5.
IFSS : Les rapports récents reconnaissent les bienfaits de la vitamine D sur plusieurs maladies chroniques et certains cancers, mais remettent en question son implication dans le cancer du sein. Qu’en pensez-vous ?
Dr :
Un rapport qui réunit plusieurs experts signataires doit nécessairement trouver une expression consensuelle et souvent les positions retenues sont plus modérées que les conclusions des études scientifiques.
Il n’en reste pas moins que ces publications récentes, alertant sur le déficit en vitamine D des français et ses risques, représentent une avancée très importante. Il est essentiel de sensibiliser le plus grand nombre sur la réalité du déficit en vitamine D et ses risques pour notre santé.
Pour résumer ma position sur les effets de la vitamine D, je peux affirmer avec certitude les effets osseux et musculaires de la vitamine D :
– un statut vitaminique suffisant est essentiel pendant l’enfance et jusqu’à la fin de l’adolescence pour assure la croissance et un pic de masse osseuse optimal,
– à l’âge adulte, l’insuffisance de vitamine D entraîne des risques d’ostéoporose, de chutes (chez la personne âgée) et des syndromes douloureux chroniques (en cas de carence).
Concernant les effets potentiels extra-osseux de la vitamine D, si ceux-ci n’ont pas le même niveau de certitude, ils sont très fortement suggérés par des centaines de travaux scientifiques : maladies auto-immunes (sclérose en plaques, diabète), certaines infections, mortalité cardio-vasculaire, hypertension, progression de l’insuffisance rénale,… En ce qui concerne le risque de cancer, il existe des niveaux de preuve élevés pour au moins trois d’entre eux :
– Concernant le cancer du colon, la majorité des études trouvent un rôle « protecteur » . Dans des études observationnelles (niveau de preuve moindre que pour des études interventionnelles), les personnes qui ont un taux de vitamine D supérieur à 33 ng/ml ont un risque divisé par deux de développer un cancer par rapport aux sujets ayant un taux inférieur à 12 ng/ml.
– Le risque de cancer du sein semble également accru en cas de déficit.
– L’évolution du cancer de la prostate est aggravée par un déficit en vitamine D.
Les premières recherches sur cancer et vitamine D datent des années quatre-vingt, quand des épidémiologistes ont observé le lien entre la latitude et le risque de cancer. La vitamine D a donc fait partie des hypothèses pour expliquer le plus fort risque de cancer dans les pays les moins ensoleillés, et de nombreuses données épidémiologiques sont venues conforter cette idée.
Une autre hypothèse est actuellement explorée : les pays du nord ont des manques d’UVB temporaires (d’octobre à avril pour la France). Ce phénomène serait à l’origine de fluctuations du taux de vitamine D entre l’été et l’hiver et cette variation pourrait avoir elle-même un effet néfaste sur l’organisme.
IFSS : Pour combler notre manque de vitamine D, faut-il s’exposer davantage au soleil ?
Dr :
Je pense que chaque expert ne peut parler que du sujet qu’il maîtrise et je ne suis pas spécialiste du soleil. Ce que je peux dire avec certitude, c’est :
– que le déficit en vitamine D est un marqueur de non ou de faible exposition aux UVB,
– que toutes les données scientifiques indiquent qu’il est délétère de manquer de vitamine D et qu’un taux suffisant de vitamine D est bénéfique pour la santé,
– que l’exposition au soleil est une façon efficace d’avoir de la vitamine D et n’entraîne aucun risque de surdosage.
Concernant la « dose » de soleil à laquelle nous devons nous exposer, je peux vous résumer la réponse qui a été faite lors du point presse de présentation du rapport de l’Académie de Médecine : « se cacher du soleil est déraisonnable et il faut inciter les français à s’exposer modérément, tout en rappelant qu’une exposition trop prolongée est délétère. »
Bien que n’étant pas spécialiste du soleil, mon domaine m’amène naturellement à m’y intéresser et certaines publications semblent montrer que les UV solaires ont des effets bénéfiques indépendants de la vitamine D. C’est le cas par exemple pour le risque de cancer du pancréas qui serait réduit chez les personnes s’exposant davantage aux UV solaires. Dans un autre domaine, Hector Deluca (1) a émis l’hypothèse que les effets bénéfiques connus du soleil sur le risque et la gravité de la sclérose en plaques pourraient être dus à un effet direct des ultraviolets solaire et pas seulement à la synthèse de vitamine D.
Ce sont donc des arguments supplémentaires pour recommander à tous une exposition modérée au soleil, par exemple dans le cadre d’activités physiques de plein air.
Lors de la présentation à la presse la question des cabines de bronzage UV a été posée : est-ce que vous conseillez d’aller dans des cabines de bronzage pour faire de la vitamine D ?
La réponse des experts est de ne pas conseiller d’aller dans des cabines de bronzage. Cependant, sur un plan purement biologique ont peut dire que les personnes qui fréquentent des cabines de bronzage émettant des UVB synthétisent de la vitamine D. En revanche, si vous utilisez des cabines qui n’émettent aucun UVB, il est certain que cela n’entraînera pas de synthèse de vitamine D.
IFSS : Pour résumer, quels sont les messages essentiels que vous souhaitez diffuser au public ?
Dr :
Ma position peut se résumer en 3 points :
1. Le déficit en vitamine D est extrêmement fréquent en France
2. Les apports nutritionnels conseillés sont aujourd’hui insuffisants
3. Il faut agir pour accroître le statut vitaminique D de la population:
• Par une alimentation riche en vitamine D, voire supplémentée, mais en sachant que l’effet est modeste (l’essentiel de nos apports vient du soleil)
• Il faut inciter à une exposition solaire régulière et modérée, mais celle-ci ne sera pas efficace toute l’année (les UVB solaires sont trop faibles d’octobre à avril)
• Par une supplémentation des personnes déficitaires en vitamine D à chaque fois que l’exposition solaire est insuffisante.
(1) Becklund BR, Severson KS, Vang SV, DeLuca HF. UV radiation suppresses experimental autoimmune encephalomyelitis independent of vitamin D production. Proc Natl Acad Sci U S A. 2010 Apr 6;107(14):6418-23.
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